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Evolution jurisprudentielle sur les suites des condamnations pénales des dirigeants sociaux

En Bref

Les Faits: Un dirigeant condamné pour complicité d’abus de biens sociaux, qui avait dû verser des dommages et intérêts à la victime, sollicite que la société qu'il représente l'indemnise au motif qu'il n'aurait fait qu'agir dans le cadre de son mandat social.

La Solution: Déboutant intégralement le dirigeant de son action, cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 septembre 2019 est riche d'enseignements sur les rapports entre la société et son dirigeant, qui ne relèvent pas du mandat de droit commun, et sur les conséquences pour le dirigeant de sa faute pénale intentionnelle, dont il est le seul responsable.

Aller Plus Loin: Les principes posés par cet arrêt sont totalement inédits et mettent un terme à des débats doctrinaux, renforçant la sécurité juridique en matière de responsabilité des dirigeants.

Par un arrêt du 18 septembre 2019 (n° 16-26962), très largement commenté, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pour la première fois tranché la question des conséquences de la faute pénale intentionnelle commise par le dirigeant dans l'exercice de ses fonctions.

Contexte

Spécialisée dans la promotion immobilière, une société a fait l'acquisition, au début des années 2000, d'un acteur important du marché immobilier et est venue à ses droits et obligations au terme de différentes opérations de restructuration.

A la suite de cette acquisition, il est apparu que l'ancien dirigeant et actionnaire majoritaire du groupe nouvellement acquis avait versé des commissions occultes au début des années 1990, en utilisant les fonds de l'une des sociétés dont il était le gérant. Ces commissions avaient permis de minorer le prix de vente d'un terrain au préjudice de son vendeur. Condamné pour complicité d'abus de biens sociaux, l'ancien dirigeant avait dû verser des dommages et intérêts à la victime.

C'est dans ce contexte que l'ancien dirigeant a cru pouvoir agir contre l'absorbante de la société au nom et pour le compte de laquelle il avait agi, pour être indemnisé des sommes versées à la victime.

Il se fondait sur deux moyens principaux: d'une part, il avait accompli ces actes en qualité de mandataire, de sorte qu'il devait être indemnisé pour toutes les sommes exposées dans le cadre de l'exécution de son mandat; d'autre part, la société ayant bénéficié de l'infraction commise, elle était tenue d'indemniser son dirigeant qui avait agi pour son compte. De fait, la société avait pu réaliser une opération immobilière sur le terrain litigieux. Le raisonnement du dirigeant visait donc à démontrer que s'il avait commis une infraction pénale, c'était dans l'intérêt de cette société. C'est donc aussi sur le fondement délictuel qu'il recherchait la responsabilité de la société (anc. art. 1382, C. civ. ; art. 1240 nv.).

Débouté en première instance par le Tribunal de grande instance de Paris, le dirigeant avait également échoué en appel. Définitivement, la Cour de cassation rejette ses moyens et confirme, dans l'arrêt commenté, le raisonnement tenu par la cour d'appel de Versailles du 22 septembre 2016.

Premièrement, la Cour de cassation écarte toute référence au mandat. Elle tranche de façon inédite que les dispositions du code civil relatives au mandat « n'ont pas vocation à s'appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant », mettant ainsi fin à une thèse ancienne encore défendue par certains auteurs. Il n'est plus discutable que le dirigeant détient un pouvoir de représentation d'origine légale. Dans les relations entre le dirigeant et la société qu'il représente, il faut donc se placer sur un autre terrain que celui des articles 1984 et suivants du code civil relatifs au mandat.

Pour écarter la responsabilité délictuelle de la société, la Cour de cassation souligne ensuite que « la faute pénale intentionnelle du dirigeant est par essence détachable des fonctions, peu important qu'elle ait été commise dans le cadre de celles-ci ». Elle s'inscrit en cela dans une jurisprudence constante qui qualifie la faute pénale intentionnelle de faute détachable des fonctions.

La Cour va encore plus loin et tire des conséquences de ce principe : dès lors qu'une faute pénale intentionnelle a été retenue à l'encontre du dirigeant, il s'agit d'un « acte personnel dont il devait seul assumer les conséquences, ce dont il se déduit que la dette de réparation du préjudice causé par cette faute est une dette propre ». Par conséquent, un dirigeant ne peut se retourner contre une société qu'il a dirigée pour lui faire supporter les conséquences pécuniaires d'actes constitutifs d'une faute pénale intentionnelle, quel que soit par ailleurs le bénéfice que la société a pu en retirer.

Les Trois Points A Retenir:

  1. Le dirigeant d'une société détient un pouvoir de représentation de la société, d'origine légale; les dispositions spécifiques du code civil régissant le mandat n'ont pas vocation à s'appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant;
  2. La faute pénale intentionnelle commise par le dirigeant est par essence détachable de ses fonctions, peu important qu'elle ait été commise dans le cadre de celles-ci;
  3. La faute pénale intentionnelle commise par le dirigeant est un acte personnel dont il doit assumer seul les conséquences; il ne peut se retourner contre la société.
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