Publications

Extension de la confidentialité des correspondances avocats

Extension de la confidentialité des correspondances avocats-clients à des documents internes

En bref

Le contexte : La Cour de cassation devait se prononcer sur la portée de la confidentialité des correspondances avocats-clients à des documents internes échangés entre des juristes d'entreprises. Par un arrêt très attendu du 26 janvier 2022, la Cour de cassation étend la confidentialité des correspondances avocat-client à des documents échangés en interne par les salariés de la société cliente, dès lors que « l'objet essentiel » de ces documents est de reprendre une stratégie de défense mise en place par leur avocat (Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 17-87.359).

Aller plus loin : La portée de cet arrêt devra être précisée car la Cour de cassation vise « l'objet essentiel », notion qui reste à définir.

Dans cette affaire, des opérations de visites et de saisies autorisées par le Juge des libertés et de la détention avaient été effectuées sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans le cadre d'une enquête diligentée par l'Autorité de la concurrence.

Par la suite, la société visée par l'enquête a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris d'une demande d'annulation de ces saisies, en soutenant que certains documents étaient couverts par le secret professionnel des avocats tel que protégé par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et par l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Au soutien de son argumentation, la société exposait qu'elle avait anticipé une stratégie de défense, en menant des investigations internes avec l'assistance de son avocat antérieurement aux opérations de visite et de saisie. Or, les documents saisis correspondaient à des courriels internes échangés entre juristes, dont le contenu établissait un résumé de l'analyse du cabinet d'avocats ainsi que ses recommandations.

En pratique, les documents dont la confidentialité était invoquée n'avaient pas été échangés entre la société et son avocat, mais en interne, entre les juristes salariés de l'entreprise. La société soutenait néanmoins que ces documents, reprenant une stratégie de défense développée par l'avocat, devaient pouvoir bénéficier du secret professionnel.

Le premier président de la cour d'appel de Paris a fait droit à cette argumentation en annulant les saisies critiquées. Après analyse du contenu des documents litigieux, il a considéré que « bien que ces pièces n'éman[ai]ent pas ou [n'étaient] pas adressées à un avocat, elles repren[ai]ent une stratégie de défense mise en place [par ce dernier] », de sorte que leur saisie « port[ait] atteinte aux droits de la défense ». Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi.

 Par un arrêt rendu le 26 janvier 2022 (n° 17-87.359) la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la décision du premier président de la cour d'appel de Paris et partant, la nature confidentielle des documents échangés en interne. La Cour a fondé sa décision sur le fait que « les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, et contenues dans les documents saisis, en constituaient l'objet essentiel ».

Ce faisant, la Cour de cassation étend la confidentialité des correspondances avocat-client à des documents échangés en interne par les salariés de la société cliente, dès lors que « l'objet essentiel » de ces documents est de reprendre une stratégie de défense mise en place par leur avocat. Pour ce faire, elle s'écarte d'une interprétation littérale de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui restreint la confidentialité aux « correspondances échangées entre le client et son avocat », et notamment aux « consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ».

Trois points importants à retenir

  1. Bien que non publié et rendu en formation restreinte de la Chambre criminelle, cet arrêt pourrait constituer une première avancée vers un alignement du secret professionnel français sur le legal privilege anglo-saxon.
  2. Sa portée devra être précisée à plusieurs égards, la principale incertitude tenant à ce que la confidentialité des documents échangés entre juristes semble ici subordonnée au fait que des correspondances avocat-client en constituent « l'objet essentiel ». Non définie, cette notion interroge en ce qu'elle ne permet pas de savoir sur quels critères, ou à partir de quelle proportion de données couvertes par le secret professionnel de l'avocat des documents internes pourraient être qualifiés de confidentiels. Il reviendra dès lors à la jurisprudence d'en préciser davantage les contours.
  3. Afin de renforcer les chances qu'un email ou tout autre document reprenant les éléments d'un échange couvert par le secret soit lui-même considéré comme protégé dans cette attente, il pourrait être envisagé de préciser en leur objet : « données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat ». Sans garantir leur protection, une telle mention devrait constituer une indication de la volonté de l'auteur qu'ils soient traités comme confidentiels, permettre un meilleur filtrage en cas de saisie massive et, en pratique, poser une première base pour ensuite établir leur protection.
Les publications de Jones Day ne doivent pas être interprétées comme étant des conseils juridiques portant sur des faits ou circonstances spécifiques. Elles sont fournies à titre d’information générale uniquement et ne peuvent être citées ou mentionnées dans une autre publication ou procédure sans le consentement écrit préalable du Cabinet, lequel pourra être donné ou refusé au gré du Cabinet. Pour demander l’autorisation de réimprimer l’une de nos publications, veuillez utiliser le formulaire « Nous contacter » disponible sur notre site Internet sur www.jonesday.com. L’envoi et la réception de cette publication n’ont pas pour effet de créer une relation avocat-client. Les opinions qui y sont exprimées sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement les positions du Cabinet.