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Stratégie procédurale : comment réussir une collecte de preuve avant tout procès

Stratégie procédurale : comment réussir une collecte de preuve avant tout procès

En bref

L'objectif à atteindre : Collecter un maximum de preuves en vue d'une future action en justice grâce aux mesures d'instruction prévues à l'article 145 du Code de procédure civile.

Les écueils à éviter : Une mauvaise définition des mesures sollicitées aboutissant à une rétractation ou une infirmation de l'ordonnance les ayant ordonnées.


Les mesures d'instruction in futurum prévues par l'article 145 du Code de procédure civile constituent un outil redoutable pour qui sait les manier. Mais en cas de rétractation d'une ordonnance sur requête ou d'infirmation d'une ordonnance de référé, tout le bénéfice de telles mesures est perdu puisque les documents et informations saisis doivent être entièrement restitués.

Ainsi, pour éviter de manquer son occasion, il est important de bien préparer son action.

Outre la démonstration d'un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un futur litige, il est nécessaire de faire attention aux points suivants lors de la préparation de l'action :

Requête ou référé ?

L'un des ressorts de la collecte de preuves est l'effet de surprise. Souvent les parties souhaitent utiliser la voie d'une requête non contradictoire qui est ouverte dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse (article 493 du Code de procédure civile). Ceci étant, le bénéfice de cette option procédurale ne peut être considéré comme systématiquement acquis car il déroge au principe de la contradiction. Il est donc essentiel, lorsque l'on soutient une requête devant le Président d'une juridiction, de justifier de cette dérogation à l'un des principes directeurs du procès.

Or, la simple référence à un effet de surprise n'est pas suffisant. Il convient, en effet, de caractériser les circonstances justifiant une telle dérogation. Il en sera ainsi lorsqu'il existe, par exemple, un risque de dissimulation, d'altération ou de destruction des éléments de preuve.

Attention à la censure de toute mesure assimilable à une « perquisition civile » 

Le juge doit prendre en considération, d'une part, le motif légitime et la protection des droits de la partie qui a sollicité les mesures et, d'autre part, la protection des droits du requis, notamment au titre du secret des affaires, du secret professionnel et de la vie privée. Les mesures ne doivent porter atteinte à aucune liberté fondamentale et doivent être proportionnées au but recherché.

Ne peuvent être ordonnées que des mesures « légalement admissibles » (article 145 du Code de procédure civile). Or, le droit français interdit les mesures générales d'instruction, ce qui exclut de conférer un pouvoir d'enquête à l'huissier instrumentaire dont la mission doit être strictement circonscrite. La procédure civile française reste, en effet, accusatoire et se tient éloignée du modèle inquisitoire, dont l'expression la plus forte est la procédure de discovery américaine contraignant les parties à s'échanger toutes les pièces en leur possession qu'elles leur soient favorables ou préjudiciables.

De nombreuses décisions de cours d'appel et de la Cour de cassation censurent les ordonnances ayant ordonné des mesures trop larges et disproportionnées qui aboutissent à ce qui a été qualifié de « perquisition civile ».

Pour éviter cet écueil, il est nécessaire de bien calibrer la mesure envisagée et d'éviter toute formulation générale.

Ce travail de précision passe notamment par :

  • Un choix de mots-clés restreints et pertinents – il convient de donner les raisons de leur pertinence et d'éviter les mots génériques qui peuvent aboutir à l'appréhension de données personnelles ;
  • Un périmètre de recherche raisonnable – il ne sert à rien de vouloir obtenir une mesure sur l'ensemble du système informatique d'une société lorsqu'il s'agit d'une entreprise internationale, il est préférable de cibler les postes de personnes clairement identifiées soit par leur nom, soit par leur fonction ;
  • Une mesure limitée dans l'espace – le plus souvent il sera pertinent de solliciter l'accomplissement d'une mesure au siège social d'une société ;
  • Une mesure limitée dans le temps – à savoir indiquer la période des faits litigieux pour que les recherches de l'huissier soient circonscrites.

 

Cette liste n'est ni exhaustive ni cumulative. Au vu de la jurisprudence, il apparait que, parfois, la combinaison de certains de ces critères suffit pour qu'une mesure soit considérée comme proportionnée et donc légalement admissible.

Préparer le déroulement des opérations en elles-mêmes

Il est important que l'huissier soit assisté de personnes adéquates pour pouvoir intervenir immédiatement et ne pas manquer l'effet de surprise.

Afin d'assurer l'efficacité de l'ordonnance obtenue, il est nécessaire de prévoir au stade de la requête que l'huissier instrumentaire soit assisté d'un serrurier et/ou d'un expert informatique et/ou d'un photographe et/ou de la force publique en fonction des circonstances de l'espèce.

Par ailleurs, pour éviter toute discussion concernant l'indépendance des intervenants, il est important que le requérant n'ait pas de lien avec ces derniers tel qu'il serait de nature à y porter atteinte.

Il est également important de prévoir que le requis devra mettre à la disposition de l'huissier les moyens nécessaires pour faire des photocopies des documents papier qu'il souhaite pouvoir saisir afin d'éviter toute saisie de document en original même de manière temporaire (afin, par exemple, de faire une photocopie à son étude).

L'indispensable séquestre des éléments et les modalités de la levée

Afin de préserver les droits des parties et surtout de l'entité requise, il est essentiel de prévoir le séquestre par l'huissier instrumentaire des éléments saisis et non une remise immédiate des éléments au requérant. Cela permet de faire un tri afin d'écarter les éléments non pertinents et ceux portant atteinte au secret des affaires, au secret professionnel ou au respect de la vie privée. A défaut, le requis obtiendrait facilement une rétractation de l'ordonnance.

Une fois les éléments séquestrés se pose la question de la levée du séquestre. Que celle-ci soit faite par le biais d'une assignation en référé ou d'une assignation au fond, seuls le requis et son conseil doivent être autorisés à assister aux débats relatifs à la détermination des pièces effectivement communicables au demandeur. En effet, le conseil du demandeur ne peut être présent puisque « le secret professionnel des avocats ne s'étend pas aux documents détenus par l'adversaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires, dont le refus de communication constitue l'objet même du litige » (Cass. 1ère civ., 25 février 2016, n°14-25729).


LES TROIS POINTS IMPORTANTS A RETENIR

  1. N'avoir recours à une procédure unilatérale que si la dérogation au principe du contradictoire est justifiée
  2. Bien définir le périmètre de la mesure géographiquement, factuellement et temporellement afin que celle-ci soit proportionnée au but poursuivi.
  3. Prévoir une procédure de séquestre et de main levée précise pour éviter toute communication d’information sensible non relative aux faits litigieux au requérant/demandeur.

Contacts

Ozan Akyurek
Paris
+33.1.56.59.39.39
oakyurek@jonesday.com

Hortense de Roux
Paris
+33.1.56.59.39.91
hderoux@jonesday.com