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Loi Sapin II : une nouvelle ère s'ouvre en matière de lutte contre la corruption, ce que les entreprises doivent savoir

Le 8 novembre 2016, l'Assemblée Nationale adoptait la "loi Sapin II", faisant entrer la France dans une nouvelle ère en matière de lutte contre la corruption. Baptisée en référence à la première loi anti-corruption Sapin I de 1993, la loi Sapin II s'aligne sur les dispositifs anti-corruption américain et anglais et hisse la France au niveau des meilleurs standards internationaux. La loi Sapin II a été promulguée le 9 décembre 2016. Un décret d'application viendra préciser les modalités et conditions de sa mise en œuvre.

Une révolution juridique et culturelle française nécessaire dans un contexte de corruption transnationale

La loi Sapin II s'inscrit dans un contexte d'aggravation du phénomène de corruption transnationale, favorisé par la mondialisation des échanges. Le Ministre de l'Economie et des Finances a également rappelé que la corruption constitue un véritable frein au développement économique, faussant la concurrence et nuisant à la réputation des entreprises françaises.

La France n'a jamais condamné de manière définitive une entreprise pour corruption active d'agents publics étrangers, et ce alors même que les entreprises françaises font souvent l'objet d'investigations et, le cas échéant, de condamnations à l'étranger pour des faits similaires, en vertu notamment du Foreign Corrupt Practices Act ("FCPA") américain et du U.K. Bribery Act anglais.

Du point de vue des organisations internationales, le système français de répression de la corruption transnationale n'était pas satisfaisant. La France a ainsi fait l'objet de vives critiques de la part de l'OCDE et se devait de redoubler d'efforts en matière de lutte contre la corruption.

C'est dans ce contexte que la loi Sapin II entend marquer un véritable tournant législatif en matière de lutte contre la corruption.

La loi crée notamment une Agence française anti-corruption, étend l'extraterritorialité des poursuites en matière de corruption et de trafic d'influence et instaure une peine complémentaire de mise en conformité pour les individus et sociétés condamnés pour ces infractions. Le texte introduit également l'obligation – pour certaines sociétés – de mettre en œuvre un programme de mise en conformité et autorise les personnes morales mises en cause, notamment pour des faits de corruption et trafic d'influence, à conclure une convention judiciaire d'intérêt public, comparable aux mécanismes existants aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni et destinée à éviter le procès pénal et, le cas échéant, une condamnation.

Reste à savoir si les autorités françaises tireront pleinement profit de ces nouvelles dispositions en matière de lutte contre la corruption. En tout état de cause, les sociétés concernées seraient bien avisées de mettre en œuvre, sans tarder, les différentes obligations auxquelles la loi Sapin II les astreint.

VOLET PREVENTIF

L'obligation pour les grandes entreprises de mettre en œuvre un programme de mise en conformité

Personnes visées. Les présidents, directeurs généraux, gérants d'une société et membres du directoire des sociétés anonymes (i) employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et (ii) dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros, sont tenus de mettre en place un programme de mise en conformité afin de prévenir et détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence. Lorsque la société établit des comptes consolidés, l'obligation de mettre en place un programme de mise conformité porte sur la société elle-même ainsi que sur l'ensemble de ses filiales ou des sociétés qu'elle contrôle.

La société est également responsable, en tant que personne morale, en cas de manquement à son obligation de mettre un œuvre un programme de mise en conformité.

Contenu du programme. Ce programme inclut :

  • Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence. Ce code de conduite est intégré au règlement intérieur de l'entreprise et fait l'objet, à ce titre, de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l'article L. 1321-4 du code du travail ;
  • Un dispositif d'alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d'employés et relatifs à l'existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;
  • Une cartographie des risques prenant la forme d'une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d'activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité;
  • Des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
  • Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence ;
  • Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d'influence ;
  • Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
  • Un dispositif de contrôle et d'évaluation interne des mesures mises en œuvre. 

 

Entrée en vigueur. Les sociétés visées doivent mettre en œuvre ces obligations avant le 1er juin 2017.

Sanctions. Dans l'hypothèse où le dirigeant de l'une des sociétés précitées (président, directeur général, gérant ou membre du directoire d'une société anonyme) manquerait à ses obligations de mettre en œuvre un programme de mise en conformité, des injonctions et/ou sanctions pécuniaires pourraient être prononcées à son encontre ou à l'encontre de la société (le montant ne pourra excéder 200.000 euros pour les personnes physiques et 1.000.000 d'euros pour les personnes morales). La décision d'injonction ou de sanction pécuniaire est en outre susceptible d'être publiée, diffusée ou affichée.

La création d'une Agence française anti-corruption

Missions. La loi Sapin II crée une Agence française anti-corruption (ci-après, l'« Agence ») venant se substituer à l'actuel Service Central de Répression de la Corruption. Ce nouveau cadre législatif marque un véritable tournant dans la mesure où le Service Central de Répression de la Corruption ne détient aucun pouvoir d'investigation ni de sanction. Ce service est uniquement habilité à collecter et exploiter des informations, puis à les transmettre au Parquet. A l'inverse, l'Agence est dotée de prérogatives de surveillance étendues en vue d'une lutte renforcée contre la corruption. Elle a notamment pour mission d'élaborer des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption et de trafic d'influence.

La Commission des Sanctions. L'Agence comprend une Commission des Sanctions qui aura le pouvoir de sanctionner les individus et/ou les sociétés en cas de manquements constatés.

Un renforcement de la protection des lanceurs d'alerte

Définition du lanceur d'alerte. La loi Sapin II définit le lanceur d'alerte comme suit : une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste (i) d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, (ii) d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, (iii) de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

Procédure à suivre. Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes précités dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. Les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés auront l'obligation de mettre en place une procédure de signalement dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Protection du lanceur d'alerte. Aux termes de la loi Sapin II, aucun salarié ne peut notamment être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir effectué un signalement dans le respect de la procédure précitée. Toutefois, les informations couvertes par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclues du régime de l'alerte. Enfin, n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et qu'elle intervient conformément à la procédure encadrant le signalement.

VOLET REPRESSIF

L'extraterritorialité des poursuites en matière de corruption et de trafic d'influence

La loi pénale française s'applique à toutes les infractions commises sur le territoire français. Une infraction est réputée commise sur le territoire français dès lors que l'un de ses éléments constitutifs a été commis sur ce même territoire. L'extraterritorialité de la loi française est cependant admise, à titre exceptionnel, dans plusieurs situations. La loi française est notamment applicable à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un français ou un étranger hors du territoire français lorsque la victime est de nationalité française.

Sous l'empire du droit ancien, les infractions commises par des ressortissants français hors de France pouvaient également être poursuivies en France, mais seulement à deux conditions : (i) que les faits soient également réprimés dans le pays du lieu de leur commission et (ii) que le Parquet soit à l'origine des poursuites. La Loi Sapin II supprime ces deux conditions en matière de corruption et trafic d'influence, renforçant ainsi la poursuite de ces infractions.

De plus, la loi Sapin II prévoit expressément que la loi française n'est plus applicable aux seuls ressortissants français ayant commis des infractions de corruption et trafic d'influence à l'étranger. Sont désormais visées, toutes les personnes résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de leur activité économique sur le territoire français.

Finalement, le texte instaure un délit de trafic d'influence d'agent public étranger, alors que seule la corruption d'agent public étranger était réprimée.

Un renforcement des peines

En droit français, les faits de corruption et de trafic d'influence sont punis d'une amende de 500.000 euros à 1.000.000 d'euros et d'une peine d'emprisonnement pouvant aller de 5 à 10 ans pour les particuliers. Les sociétés risquent, quant à elles, une amende d'un montant de 2.500.000 à 5.000.000 d'euros. 

La loi Sapin II instaure une peine complémentaire de mise en conformité. Les sociétés condamnées pour des faits de corruption et/ou trafic d'influence pourraient avoir pour obligation de mettre en place un programme de conformité sous le contrôle de l'Agence et de supporter l'ensemble des frais exposés à ce titre. En cas de méconnaissance de cette obligation, des sanctions additionnelles pourraient être prononcées (pour les personnes physiques, 50.000 euros et une peine de 2 ans d'emprisonnement ; pour les personnes morales une amende dont le montant peut être porté au montant de l'amende encourue au titre du délit pour lequel elles ont été condamnées et qui a donné lieu au prononcé de la peine).[1] La décision imposant cette peine complémentaire pourrait, le cas échéant, être publiée ou diffusée et, partant, nuire à la réputation des entreprises condamnées.

VOLET TRANSACTIONNEL

La possibilité pour les sociétés de conclure une convention judiciaire d'intérêt public

Un deferred prosecution agreement (DPA) à la française. La loi Sapin II instaure un mécanisme comparable au DPA américain, sous le nom de « convention judiciaire d'intérêt public ». Le texte autorise ainsi le Parquet à négocier une transaction avec les personnes morales, notamment soupçonnées de faits de corruption et/ou trafic d'influence. 

Contenu. En pratique, le Procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause notamment pour des faits de corruption ou de trafic d'influence de conclure une convention judiciaire d'intérêt public, destinée à éviter le procès pénal et, le cas échéant, une condamnation, imposant une ou plusieurs des obligations suivantes :

  • verser une amende d'intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ;
  • se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité.

 

Lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an.

Portée. Le champ d'application de la convention judiciaire d'intérêt public est ici très restreint : (i) elle ne s'applique pas aux personnes physiques mises en cause, qui font donc l'objet d'un traitement judiciaire différent et (ii) elle ne s'applique qu'aux personnes morales « mises en cause », c'est-à-dire dans les seuls cas où « l'un de leurs organes ou représentants » ou salarié titulaire d'une délégation de pouvoir, est suspecté d'avoir commis l'infraction pour leur compte. Sont donc exclus du champ d'application de la convention les actes commis par un simple salarié même pour le compte de la personne morale.

Procédure. Lorsque la personne morale mise en cause donne son accord à la proposition de convention, le Procureur de la République saisit par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de validation. Le président du tribunal procède à l'audition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime assistées, le cas échéant, de leur avocat. A l'issue de cette audition, le président du tribunal prend la décision de valider ou non la proposition de convention, en vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l'amende à la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements. La décision du président du tribunal n'est pas susceptible de recours. Si le président du tribunal rend une ordonnance de validation, la personne morale mise en cause dispose, à compter du jour de la validation, d'un délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation. Si la personne morale mise en cause n'exerce pas ce droit de rétractation, les obligations que la convention comporte sont mises à exécution. Dans le cas contraire, la proposition devient caduque.

Effets de la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public. L'ordonnance de validation n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation. La convention judiciaire d'intérêt public n'est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire. Elle fait l'objet d'un communiqué de presse du Procureur de la République. L'ordonnance de validation, le montant de l'amende d'intérêt public et la convention sont publiés sur le site internet de l'Agence française anticorruption. 

Impact sur les enquêtes internationales et multi-juridictionnelles. Ce nouveau mécanisme permettra aux autorités françaises de sanctionner efficacement les entreprises soupçonnées de faits de corruption. Si ces mêmes agissements pourraient faire, en parallèle, l'objet de poursuites par des autorités étrangères en vertu de leur propre législation anti-corruption, il ne fait aucun doute que l'adoption de la loi Sapin II conduira à une coopération accrue entre les autorités françaises et leurs homologues étrangers. Une telle coopération devrait permettre aux sociétés mises en causes, notamment pour des faits de corruption, de conclure des transactions revêtant une portée extraterritoriale, et d'obtenir le cas échéant un abandon des poursuites par les autorités étrangères.

CONCLUSION

L'adoption de la loi Sapin II constitue un tournant majeur dans le dispositif de lutte contre la corruption et le trafic d'influence. Parmi les principales évolutions figure l'obligation de mettre en place des programmes de conformité, tant pour les grandes sociétés établies sur le territoire français que pour les grandes sociétés françaises exerçant une activité à l'étranger.

La loi Sapin II témoigne de la volonté des autorités françaises de renforcer tant l'arsenal préventif que répressif en matière de lutte contre la corruption. Les sociétés doivent s'y préparer en renforçant de manière effective leur programme de mise en conformité.

Un décret d'application viendra préciser les modalités et conditions de la mise en œuvre de la loi Sapin II. Les sociétés pourront également s'appuyer sur les recommandations élaborées par l'Agence afin de prévenir et de détecter les faits de corruption et de trafic d'influence. Il est à espérer que l'Agence publiera, à l'instar du Department of Justice américain, des recommandations concrètes sur ce qu'il est possible de faire sans enfreindre la loi et qui pourront être intégrées dans le dispositif de formation des entreprises.

Jones Day ne manquera pas de poursuivre sa veille en la matière et communiquera tout nouveau développement en lien avec la Loi Sapin II.

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[1] Il convient de garder à l'esprit que le droit français interdit de cumuler le montant des amendes en cas de délits portant sur les mêmes faits, notamment en matière de corruption et trafic d'influence. L'amende maximum pouvant être prononcée sera l'amende encourue pour l'infraction la plus grave.