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Le projet de Loi Sapin II : vers une évolution majeure de la législation française anti-corruption

« En matière de lutte contre la corruption, la France ne saurait se satisfaire de l'existant ». Ces propos tenus par Michel Sapin, Ministre des Finances et des Comptes publics, en juillet 2015 étaient annonciateurs d'une loi en faveur de la transparence et de la modernisation de la vie économique. L'imminente « Loi Sapin II » - baptisée en référence à la première loi anti-corruption Sapin I - fait suite aux critiques formulées par l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) et annonce des changements importants dans le dispositif français de lutte contre la corruption.

Ce projet de loi a pour ambition de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux et plus particulièrement du modèle anglo-saxon (Foreign Corrupt Practices Act et Bribery Act). Les entreprises, tant françaises qu'étrangères, exerçant une activité en France, doivent donc rester particulièrement attentives aux évolutions annoncées.

Le projet de Loi Sapin II a été déposé au bureau de l'Assemblée Nationale le 30 mars 2016 et sera débattu dans les prochaines semaines au Parlement.

L'extraterritorialité des poursuites en matière de corruption et de trafic d'influence

La loi pénale française s'applique à toutes les infractions commises sur le territoire français. Une infraction est réputée commise sur le territoire français dès lors que l'un de ses éléments constitutifs a été commis sur ce même territoire. L'extraterritorialité de la loi française est cependant admise, à titre exceptionnel, dans plusieurs situations. La loi française est notamment applicable à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un français ou un étranger hors du territoire français lorsque la victime est de nationalité française. Par ailleurs, les infractions commises par des ressortissants français hors de France peuvent être également poursuivies en France à deux conditions : (i) que les faits soient également réprimés dans le pays du lieu de leur commission et (ii) que le Parquet soit à l'origine des poursuites. Le projet de Loi Sapin II supprime ces deux conditions, renforçant ainsi la poursuite des délits de corruption et de trafic d'influence commis à l'étranger par des français.

En outre, le projet de Loi Sapin II prévoit la création du délit de trafic d'influence d'agent public étranger, alors que seule la corruption d'agent public étranger est à ce jour réprimée.

L'obligation pour les grandes entreprises de prévenir et détecter les risques de corruption

Le projet de Loi Sapin II prévoit la création d'une obligation de prévention et de détection des risques de corruption ou de trafic d'influence s'imposant « aux sociétés employant au moins 500 salariés ou qui appartiennent à un groupe de sociétés dont l'effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros ».

Ces sociétés devront justifier de l'existence et de la mise en œuvre d'un programme de mise en conformité comprenant les mesures et procédures suivantes :

i. un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire ;

ii. un dispositif d'alerte interne ;

iii. une cartographie des risques prenant la forme d'une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption ;

iv. des procédures de vérification de l'intégrité des clients et fournisseurs de premier rang ainsi que des intermédiaires, adaptées au regard de la cartographie des risques;

v. des procédures de contrôles comptables internes ou externes destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne soient pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence ;

vi. des formations destinées aux cadres et aux personnels ; et

vii. une politique de sanction disciplinaire permettant de sanctionner les membres de la société en cas de violation du code de conduite de la société.

Dans l'hypothèse où le dirigeant de l'une des sociétés précitées (président, directeur général, gérant ou membre du directoire d'une société anonyme) manquerait à ces obligations, des injonctions et/ou sanctions pécuniaires pourraient être prononcées à son encontre ou à celle de la société (le montant ne pourra excéder 200.000 euros pour les personnes physiques et 1.000.000 euros pour les personnes morales). La décision d'injonction ou de sanction pécuniaire est en outre susceptible d'être publiée, diffusée ou affichée. La mise en œuvre de ce programme s'imposerait, le cas échéant, à l'ensemble des filiales et des sociétés contrôlées par les sociétés précitées (i.e. détention de plus de 50 % du capital social ou des droits de vote).

La création d'une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption

Le projet de Loi Sapin II a vocation à mettre en place une nouvelle Agence de prévention et de détection de la corruption (ci-après, l'« Agence ») venant se substituer à l'actuel Service Central de Répression de la Corruption. Ce nouveau cadre législatif marquerait un véritable tournant dans la mesure où l'entité actuelle ne détient aucun pouvoir d'investigation ni de sanction. En effet, ce service est uniquement habilité à collecter et exploiter des informations, puis à les transmettre au Parquet.

A l'inverse, l'Agence serait dotée de prérogatives de surveillance étendues en vue d'une lutte renforcée contre la corruption. Elle aurait notamment pour mission de contrôler la mise en œuvre effective, par les sociétés, de leurs programmes de mise en conformité. L'Agence aurait également le pouvoir de conduire des investigations et de sanctionner les manquements constatés.

Un renforcement de la protection des lanceurs d'alerte

Le cadre juridique français ne contient, à l'heure actuelle, aucune disposition générale destinée à protéger les lanceurs d'alerte, à l'exception de certaines prévues par le Code du travail. En cas d'adoption du projet de loi Sapin II, tout licenciement ou discrimination à l'égard des personnes ayant signalé des manquements à l'Agence sera prohibé. Par ailleurs, le projet de Loi prévoit un dédommagement financier pour tout lanceur d'alerte qui dénoncerait des faits de corruption et/ou trafic d'influence (i.e. le financement de leur protection juridique). Cette disposition reflète une pratique établie aux États-Unis qui a eu pour conséquence de voir les lanceurs d'alerte devenir l'une des principales sources d'information du Ministère de la Justice.

Une peine complémentaire de mise en conformité

En vertu de la législation actuelle, les faits de corruption et de trafic d'influence sont punis d'une amende de 500.000 euros à 1.000.000 euros et d'une peine d'emprisonnement pouvant aller de 5 à 10 ans pour les particuliers. Les sociétés risquent, quant à elles, une amende d'un montant de 2.500.000 à 5.000.000 euros.

Le projet de Loi Sapin II instaure une peine complémentaire de mise en conformité. Les sociétés condamnées pour des faits de corruption et/ou trafic d'influence auraient pour obligation de mettre en place un programme de conformité sous le contrôle de l'Agence et de supporter l'ensemble des frais exposés à ce titre. En cas de méconnaissance de cette obligation, des sanctions additionnelles pourraient être prononcées[1]. La décision imposant cette peine complémentaire pourrait, le cas échéant, être publiée ou diffusée.

L'abandon du projet de justice transactionnelle

Dans sa version initiale, le projet de Loi Sapin II instaurait un Deferred Prosecution Agreement à la française - comparable aux mécanismes existants aux Etats-Unis ou plus récemment au Royaume-Uni - aux fins de permettre de transiger sur les affaires de corruption et/ou trafic d'influence. Le projet de Loi Sapin II autorisait ainsi le Parquet à négocier une transaction avec les sociétés soupçonnées de faits de corruption et/ou trafic d'influence.

Aux termes de ce dispositif intitulé « Convention de compensation d'intérêt public », les personnes morales pouvaient éviter les poursuites pénales, de même que toute condamnation subséquente, par la mise en œuvre d'un programme de conformité ou le versement d'une somme d'argent. Cette somme, proposée par le Procureur de la République, devait être proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés (dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel). Le Procureur devait ensuite soumettre la transaction au Président du Tribunal de Grande Instance pour validation. Les termes de cet accord étaient alors rendus publics.

L'instauration d'une justice transactionnelle en matière de corruption et trafic d'influence a été retirée du projet de Loi Sapin II à la suite de l'avis émis par le Conseil d'Etat le 24 mars 2016. Ses partisans la considèrent cependant comme indispensable à la lutte contre la corruption. A l'inverse, ses détracteurs jugent que la mise en œuvre d'un tel dispositif conduirait à dépénaliser les délits précités et certains vont même jusqu'à considérer qu'une telle transaction porterait atteinte à l'essence même du système pénal français.

Bien qu'hautement improbable, les parlementaires pourraient réintroduire cette disposition dans le projet de Loi Sapin II.

Conclusion

Le projet de Loi Sapin II fait l'objet de débats importants en France. Malgré l'abandon de la Convention de compensation d'intérêt public, l'adoption de ce projet devrait constituer un tournant majeur dans le dispositif de lutte contre la corruption et le trafic d'influence. Parmi les principales évolutions figure l'obligation de mettre en place des programmes de conformité, tant pour les sociétés établies sur le territoire français que pour les sociétés françaises exerçant une activité à l'étranger.

Plus généralement, les dispositions du projet de Loi Sapin II témoignent d'une volonté de renforcer l'arsenal répressif en matière de lutte contre la corruption. Jones Day ne manquera pas de poursuivre sa veille en la matière et communiquera tout nouveau développement en lien avec le projet de Loi Sapin II.

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[1]     Il convient de garder à l'esprit que le droit français interdit de cumuler le montant des amendes en cas de délits portant sur les mêmes faits, notamment en matière de corruption et trafic d'influence. L'amende maximum pouvant être prononcée sera l'amende encourue pour l'infraction la plus grave.